
Jean-Philippe Uzel Pourquoi organiser une discussion sur l’appropriation artistique alors que tout le monde parle d’appropriation culturelle ? On pourrait penser que ce thème est un petit peu étrange ou même suspect. Est-ce qu’il n’y aurait pas là un « agenda caché » ? Est-ce que l’appropriation artistique n’aurait pas pour finalité de justifier, en fin de compte, l’appropriation culturelle ? Il me semble important de répondre en deux mots à ces interrogations, et donc d’expliquer le pourquoi de cette table ronde. Tout d’abord, il me semble regrettable que le mot « appropriation » soit devenu un mot chargé, un mot qu’on a du mal à employer. L’appropriation artistique est une sorte de victime collatérale des débats sur l’appropriation culturelle. Or, cela est dommage parce que la technique de l’appropriation artistique, ce qu’on appelle aussi « art d’appropriation », irrigue tout l’art moderne et l’art contemporain et reste centrale pour comprendre les pratiques en art actuel. Il semble donc important de rappeler ce qu’est le geste d’appropriation dans le monde artistique. Ce qui est particulièrement intéressant, chez les artistes appropriationnistes, c’est qu’ils assument la dimension subversive de leur geste. Ils s’approprient quelque chose qui ne leur appartient pas, généralement une image faite par un autre artiste, un publicitaire ou un designer. Ils assument les conséquences, souvent juridiques, de ce geste violent. Or, lorsqu’on regarde du côté des artistes qui sont taxés d’appropriation culturelle, la dimension violente de leur geste est totalement niée. Je trouve ce contraste très intéressant et j’aimerais lancer le débat d’un côté sur ces artistes appropriationnistes qui assument leurs gestes transgressifs et, de l’autre côté, sur des artistes qui adoptent un profil éthique en se présentant comme les alliés des cultures qu’ils mettent en scène, même lorsque les membres de ces cultures minoritaires les contredisent.
Stéphane Martelly Je pourrais rebondir tout de suite. Je me demandais en effet quelle était la pertinence d’associer ces deux notions, qui semblent assez éloignées l’une de l’autre. Mais je trouve qu’en même temps, c’est intéressant de les rapprocher. Aussi, j’aimerais, pour commencer, proposer une définition de l’appropriation culturelle. Pour moi, l’appropriation culturelle, c’est la transformation d’une culture qui était auparavant libre de circuler en objet consommable, vendable, reproductible. Pour moi, il s’agit vraiment d’une réification de l’objet culturel. L’appropriation culturelle a lieu parce qu’un trait, une pratique, un objet culturels sont repris dans un geste qui les décontextualise au lieu de les complexifier, qui les simplifie au lieu de les enrichir ; c’est un geste de pouvoir, finalement. Il y a une désacralisation de l’objet, une décontextualisation d’un objet qui avait beaucoup de ramifications et beaucoup de niveaux de signification, qui se retrouve simplifié et ramené à une seule chose. L’acte de pouvoir est intrinsèquement lié à la notion même d’appropriation culturelle : il n’y a pas d’appropriation culturelle juste parce qu’il y a une sorte de jeu de chaises musicales de l’identité, il y a appropriation parce qu’il y a un geste violent qui est fait dans l’acte de prendre quelque chose de l’autre, de le simplifier et de le ramener à soi.
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